A TIRE D'AILE - Chapitre 5 -
Lundi 17 août. Porto, 17 heures.
Le Français qui était
assis en face de lui avait un type prononçé d'Arabe:
cheveux bouclés, très bruns, presque noirs, peau mat,
sourcils noirs fins, yeux légèrement en amandes,
pommettes hautes, nez plutôt fin pour un... et menton
triangulaire. Il avait une barbe mal rasée. Son visage avait
cet aspect sale qu'il détestait chez tous ces gens là.
Comment est ce qu'il pouvait être français? C'était
un mystère pour Roberto. Il s'était passé
beaucoup trop d'événements depuis dimanche pour que lui
Roberto puisse comprendre vraiment pourquoi il se retrouvait en face
de ce flic. Un flic français d'origine arabe. Ses cousins lui
avaient dit que tout foutait le camp en France. Il avait préféré
rester chez lui. Et voilà que maintenant ils venaient
jusqu'ici ces demi français. Depuis l'attaque de dimanche, il
avait tourné et retourné dans sa tête des idées,
sans toutefois arriver à trouver des liens.
Il s'était réveillé avec un bras suspendu à une potence, une douleur au
côté gauche quand il respirait, et du mal à rester longtemps allongé
dans la même position. Heureusement qu'il n'y avait personne pour
pleurer à ses pieds. Il n'aurait pas supporté. Il s'était souvenu par
bribes de ce qui était arrivé. Il avait recoupé avec les informations
de la police de l'immigration et pourtant il n'avait rien voulu dire.
Les douaniers, avaient été un peu plus perspicaces. Ils avaient repéré
les containers qui coulaient, eux, ils ne l'avaient pas coincé
pourtant. Et puis personne n'avait heureusement pensé à lui demander ce
que ce morceau de fax qui était arrivé au moment de l'arrêt des
ventilateurs et resté bien en évidence sur la machine, pouvait vouloir
dire. Seul, ce type semblait avoir suspecté quelque chose. Il ne
pouvait pas être allé très loin pourtant. Ses collègues à l'immigration
et à la douane, qui avaient pris cette attaque pour un vol ou un
détournement de marchandises, avaient malgré tout informé Europole. Il
y avait un flic qui était mort et un des employés du matin sérieusement
blessé. C'est ce qu'il avait interprété des diffèrents interrogatoires
qu'il avait subis depuis sa reprise de conscience. Dans ces cas là,
normal, les flics se serraient les coudes. Il avait appris que les
scellés avaient été posés sur l'unité de fabrication parce que son
patron était passé le voir ce matin. Il lui avait fait comprendre que
le plus tôt il serait rétabli et le mieux ce serait pour tout le monde
et qu'il n'y perdrait pas. Tous des sangsues. Ca l'avait retourné. Et
maintenant ce flic à tête de bougnoule qui venait encore l'interroger
avec un accent portuguais inimitable. Vraiment la totale.Qu'est ce
qu'il lui voulait encore ?
- M. Da Silva, vous avez appelé les services de police de Porto et pas
les services de la police de sécurité ni ceux de l'immigration ou des
douanes, est ce que vous pouvez vous souvenir pour quelle raison. Il
devait y avoir une raison plus grave que d'habitude n'est ce pas ?
- Oui, Monsieur l'officier, il y avait que, quand ça a commencé à
canarder, c'était à l'intérieur que ça se passait et c'était deux
hommes en cagoules avec des fusils d'assaut qui tiraient.
- Et où étaient-ils situés ces deux hommes ?
- Monsieur l'officier, je suis fatigué de répeter toujours la même
chose. Je l'ai déjà expliqué aux autres policiers plusieurs fois.
- Monsieur Da Silva, vous avez compris que je viens d'Europol parce
qu'il y a un collègue qui est mort et que d'autre part ça touche sans
doute un trafic de produits alimentaires dans l'Union. C'est pour ça
qu'ici la police a fait appel à moi. C'est pour ça que j'ai besoin de
votre aide.
- Ils étaient du côté des stocks frigorifiques. Mais ce n'est pas
possible.
- Qu'est ce qui n'est pas possible ?
- Ce n'est pas possible qu'ils y étaient parce que mon collègue, le
jeune ingénieur, m'avait prévenu qu'il pousserait les systèmes à fond
dès le vendredi pour que nous puissions travailler tranquilles dimanche
matin. Ils seraient morts et congelés s'ils avaient été là.
- Alors d'où venaient ils à votre avis ?
- Ils sont entrés par derrière comme moi un peu plus tôt.
- Est ce vous qui les avez laissé entrer ?
- Pour me faire tirer dessus ensuite ? Vous êtes fou ?
- Monsieur Da Silva, me prenez vous pour un flic français à tête
d'arabe et fou ou seulement pour un con ? Vous et moi nous savons que
les stocks frigo sur la plus grande partie des zones franches, ici dans
le Sud ne fonctionnent pas correctement. Encore plus quand c'est le
week end. Et c'est bien pour ça qu'elles existent ces zones, c'est
parce qu'on peut y traffiquer comme on veut les week end. Il n'y a pas
de contrôle sanitaire le week end, hein ?
- Oui, vous avez peut être raison. Mais ça ne se fait pas chez nous.En
plus cette fois-ci il y avait un déchargement important de poulets du
Brésil qui est arrivé presque en même temps que d'autres de Thailande
que nous n'attendions pas aussi vite. C'est pourquoi mes collègues ont
poussé la température des frigos à fond pour être le plus froid
possible. C'est pourquoi je vous le dis encore une fois ces types ne
pouvaient pas sortir de là. Impossible.
- Et s'ils étaient sortis non pas de ce stock frigorifique mais du
stock des emballages. Ca se trouve à côté ou au dessus non ?
Roberto fixa le flic français un moment. Ce type était dangereux. Il
réfléchissait vite, il avait déjà des idées en tête. Ca le rendait
perspicace.
- Oui, et qu'est ce que ça aurait changé à votre avis ?
- Monsieur Da Silva, je ne sais pas ce que cela aurait changé. Je n'ai
pas passé beaucoup de temps à votre usine. Mais je me dis que votre
usine étant certainement comme celles que j'ai déjà visitées, ce serait
certainement logique qu'ils se soient embusqués là.Qu'en pensez vous ?
Roberto eut un mouvement des paupières et son visgae perdit quelques
couleurs. Il sentit un creux s'ouvrir dans son estomac et la bile
remonter très vite. Une envie de vomir l'étreignit quelques secondes.
Ce flic français allait vite. Trop vite. D'ici quelque temps, lui, aidé
des autres flics, il allait trouver les raisons de cette fusillade. Il
trouveraient peut être, comme lui, une partie de l'iceberg. En
attendant, cela ne profiterait plus à pauvre Roberto, se dit-il.Le plus
important maintenant c'était d'être très prudent dans ses réponses, de
se souvenir de l'essentiel de ce qu'il avait découvert et de n'en rien
dire jusqu'au bon moment.Il avait bien fait de prendre le temps de tout
enregistrer sur des CD et pas sur son ordinateur. Ces disques de
plastique étaient une assurance-vie maintenant. Il s'en était rendu
compte dimanche.
- Bon, Monsieur Da Silva, je vais aller la faire cette visite à votre
usine. Je reviens vous voir quand j'ai terminé. Portez vous bien.
Il utilisait la formule espagnole qui sonnait à ses oreilles comme une
mise en garde. Exprimée dans un sourire, il ne semblait y avoir aucun
sens caché.
- Ah Monsieur Da Silva, quoique j'ai toutes les clés, mes collègues
m'ont dit qu'il y avait un ordinateur dans votre bureau. Ils l'y ont
laissé. En général il y a un mot de passe sur ces machines. Est ce que
vous pourriez me le confier ce mot ? L'ingénieur que nous avons
contacté nous a prévenu que vous l'aviez modifié il n'y a pas
longtemps. Lui non plus n'a pas pu entrer dedans ce matin.Vous
arriveriez à vous en rappeler là maintenant ?
Un vrai serpent ce type, il te regarde en balançant sa tête et il
t'attaque sans que tu vois le coup arriver.
- Heu, Monsieur l'officier, le mot de passe est collé à l'intérieur du
troisième tiroir à droite sur le fond. Si vous passez la main vous le
sentirez. C'est un peu difficile à redire comme ça.
- Monsieur Da Silva, je vous comprends. Moi au bureau j'ai modfié le
mot de passe de mon ordinateur aussi. Maintenant il est en arabe et en
chinois et je serai incapable de vous le donner si vous me le
demandiez. A tout à l'heure.
Quand l'inspecteur Aït Ouali sortit de la chambre, Roberto s'enfonça
dans son lit en grimaçant. Il fit une courte prière à son saint patron.
Si cela pouvait lui faire du bien, cela ne pouvait pas lui faire de
mal. Il s'estimait heureux de ne pas avoir de famille à faire vivre. Il
pouvait disparaître sans faire de malheureux autour de lui. Là, en ce
moment, il ne voulait pas payer pour d'autres. Il voulait profiter de
sa chance, enfin et gagner, gagner et gagner encore, plus que jamais il
n'avait imaginé.Ce n'était sûrement pas un flic franco-arabe qui allait
l'en empêcher.Ni des gros bras mal embouchés avec des M16 au bout des
bras.
La porte refermée derrière lui, Aït Ouali se tourna vers son collègue
portugais André Da Costa. Il lui sourit.
- André, merci d'avoir insisté pour que je vienne ici. A Lyon, ils
n'étaient pas chauds, tu sais. Il leur manque toujours dix cents pour
faire un euro. Surtout quand il s'agit de nos voyages. Et ils dépensent
des millions pour modifier un système informatique qui va être piraté
dans la minute qui suit son lancement.Ce type n'est pas franc, André,
il me semble que ça ne sent pas bon. Qu'est ce qu tu en penses toi ?
André, grand, blond-roux, yeux bleux, visage glabre et rond, souriant
en permancence était l'antithèse vivante de ce qui pouvait être vu
comme un flic portuguais bon teint. Il avait fait ses études à Toulouse
et à Bordeaux à l'école de police avec Aït Ouali. Une fois reparti au
Portugal, il était resté en contact avec son condisciple. Sans être un
ami, ce dernier était une relation sûre en France. Sa confiance avait
été bien placée, Aït Ouali était maintenant à Europole. Lui aussi était
monté en grade. Il était un bon flic et il avait su cultiver ses
relations françaises. Avec les deux derniers changements politiques au
Ministère de l'Intérieur, le rapprochement des polices dans Shengen,
cela lui avait servi.
- Oui, ça nous a paru étrange qu'il appelle un voisin flic sur son
portable, qui se trouve être de ma brigade, plutôt que ceux de la zone.
Ceux du port n'avaient rien vu ni entendu quand nous sommes arrivés. Si
tu regardes la main courante du poste de contrôle, à part Roberto et
ses ouvriers, personne n'est entré avant lui, ni après lui, ce
dimanche. D'autre part qu'est ce que pouvaient faire des types dans une
usine frigorifique avec des M16 dernier cri et silencieux ?
- C'est un règlement de comptes à ton avis ?
- Si c'est un règlement de comptes, il a été mal organisé, ou alors ça
a un rapport avec ce type et avec son entreprise. Pour moi, c'est un
trafic international, c'est pour ça que je t'ai passé tout ça. Les
méchants ont disparu, pas de traces, pas de voitures, pas d'hélicos à
la James Bond, rien et un copain de l'immigration sur le carreau. C'est
trop pour nous, trop pour moi.
- J'ai pu lire vite fait que cette entreprise travaille avec de
nombreux fournisseurs étrangers hors de l'Union du Mahgreb à la Chine
en passant par le Brésil et qu'elle fournit toutes les plus grandes
sociétés de commerce et de distribution en Europe. Vous autres, les
Portuguais, vous avez toujours eu le sens du commerce lointain. Mais
quand même, de la volaille, hein, des poulets, ça me dépasse. Pas de
drogue, là, rien, hein ?
- Non, Bob, tu verras, il n'y a pas de drogue. Nous n'avons rien bougé,
tu pourras voir par toi même.
- Est ce que c'est une usine comme toutes les autres ? Des sas
d'entrée, des stocks frigos et des convoyeurs dans des salles blanches
? Je ne suis pas allé voir celle là. Mais Roberto lui a un peu bronché
quand je lui ai parlé des stocks de cartons. Il a cru que j'y étais
allé.
- Oui, nous avons préféré ne rien toucher trop vite. Autrement, comme
le patron est une huile, il aurait vite fait de faire savoir à mes
chefs que nous devons balayer en partant. Oui, il doit y avoir un stock
de cartons à côté des frigos, si je me souviens bien.
- Et il est où le patron ?
- Eh, Bob, ici la zone c'est un endroit où les flics sont persona non
grata. Pour y entrer hier, c'était moins difficile parce que il y avait
du grabuge. Mais ce matin l'indépendance du commerce avait repris ces
droits. C'est franc de taxes et ...de flics.
- André, emmène moi là bas que je me rende compte. C'est moi le type de
la police scientifique. Je suis certainement capable de trouver un fil
conducteur qui ne gênera pas le patron de cette entreprise tout de
suite.
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JNR