A TIRE D'AILE - Chapitre 3 -
Lundi 17 août. Lyon, 8 heures.
L'inspecteur Mohamed Robert Aït Ouali, plus facilement appelé par ses
collègues depuis son séjour au commissariat de l'Ariane à Nice, « Bob
», était en train de fumer dans sa voiture. Il n'aimait pas fumer, il
n'avait jamais aimé sentir la fumée des cigarettes, encore moins dans
une voiture. Pourtant, depuis qu'il était arrivé, un an plus tôt, à Lyon,
il avait pris l'habitude de laisser un paquet de cigarettes prêtes à
être fumées. C'était ça ou s'acheter un char pour pouvoir venir
tranquille depuis son appartement d'Ecully jusqu'à Saint Cyr, siège
de la délégation d'Europol en France dans l'immeuble d'Interpol, de l'autre côté de la Saône et visible de puis la montage
où était son immeuble. Il n'y avait à vol d'oiseau que cinq kilomètres
tout au plus. En char et en écrasant ceux qui le gênaient il pouvait
mettre, quoi ?
A combien ça roule un char avec des obtsacles sur sa
route? Moins de 50 kilomètres heure sûrement. Que de voitures écrasées
sous le Tunnel de Fourvière. Ce rêve éveillé, il l'avait fait plusieurs fois
depuis qu'il était venu rejoindre la section « Criminalité d'origine
asiatique » d'Europol et pour se calmer il avait d'abord écouté la
radio, c'était insipide, puis ouvert la fenêtre, horribles fumées
d'échappement, puis empesté comme les autres, allumé une cigarette et
l'habitude était venue.
Il mettait la radio, ouvrait la fenêtre et
commençait une cigarette, dans cet ordre. Il savait alors combien de
temps il allait encore souffrir dans l'embouteillage interminable qu'il
devait affronter. C'était son copain de bureau, le Croate Vaclav, qui
les ramenait de son pays. Elles parfumaient l'habitacle. Et ce matin
encore, il se demandait pourquoi il n'avait pas pris le métro. Comme le
lui répétait sans cesse le gardien de son immeuble, maintenant que le
métro arrivait à Ecully, il fallait en profiter. Quand il était arrivé
dans cette grande ville marriant le modernisme à l'influence gauloise,
il avait pris le métro avec enthousiame. Depuis, comme tous les
"vrais" Lyonnais, il ne comptait plus les journées perdues pour cause de grève
impromptue, dues à l'agression d'un chauffeur ou de dégradations
empêchant le métro d'arriver jusqu'à la prochaine station. Il était
intervenu une fois auprès de jeunes beurs en leur faisant remarquer
qu'il payait son ticket et que ça comprenait le transport et pas la
musique. En arrivant au terminus, il avait dû courir pour échapper à la
bande de minus habens soudainement sortis de plusieurs couloirs à la
fois avec leurs battes de base ball. Il avait dû son salut à un vieil
arabe portant le hadj qui avait apostrophé un des leaders en lui
expliquant que de vouloir frapper un flic, il avait dit flic, lui
mettrait Allah sur le dos jusqu'en Enfer. Il aurait pu dire: « Par
Allah, sauvé ». Il n'avait pas osé. Il n'avait pas pu retrouver ce
vieil homme pour le remercier.
Un concert d'avertissements venait de
débuter et ça voulait dire qu'il devait avancer. Oui, la bretelle
sortant de Fourvière pour partir vers les quais de Saône était libre.
Il s'engoufrait sur cette route en colimaçon et même à moins de
cinquante kilomètres heure, il serait quand même à l'heure au bureau. Un
lundi matin, le travail n'était jamais très lourd. A croire que depuis
qu'il était à Europole, les gangsters venus de l'est de la Méditerranée
étaient eux aussi au repos le week end.
L'immeuble d'Europol est sans
âme. Une grande cage de verre bleutée qui s'élève sur plusieurs étages
et qui est posée, Kaaba immobile au bord du fleuve. Aux quatre faces de
verre sans aspérités aucune, il voyait une métaphore de la police
européenne: lisse, sans angles aigus, bleue. Le message était : « Si
vous pouvez voir des fonctionnaires de police travailler pour vous,
alors ils peuvent vous voir ». En garant sa Lancia turbo, âgée de près
de dix ans maintenant, il se demandait si d'autres policiers comme lui,
arrivant de leurs polices respectives s'étaient déjà essayés à cette
comparaison de la tour de verre et de l'impossibilité qu'ils avaient de
faire autre chose que de voir ce que devaient être les actions à mener.
Après avoir présenté son badge devant l'ascenceur et regardé bien en
face la caméra de reconnaissance,
il sentait pour la centième fois au moins, ce vertige qui l'avait pris
quand le commissaire principal de Marquis, à Nice, l'avait appelé dans
son bureau.
- Alors, Aït Ouali, vous avez décidé de partir rejoindre ces
tire-au-flanc, ces planqués d'Europol, je lis sur ce courrier, humm ?
- Chef j'en ai marre de ne pas pouvoir grimper. Après tout ce temps
passé ici à résoudre des problèmes d' assistante sociale.
-Aït Ouali, celui dont vous ne voulez pas parler en clair, moi
autrement dit, ce petit monsieur il va se casser d'ici vite fait bien
fait un de ces quatre matins. et vous pourrez prendre ma place.
- Chef, sauf votre respect, je m'en fous.
Il y avait eu un silence. Il ne fallait pas franchir les espaces trop
vite avec de Marquis. Il avait ausculté son inspecteur. Il avait pris un
moment. Et éclaté de rire. Un rire tonitruant, une cascade. Les larmes
aux yeux, il avait repris.
- Ca me fait marrer, vous entendez ce que je dis, ça me fait marrer, de
m'imaginer la tête de votre confrère, et néammoins ennemi sans retour, là bas à
Montpellier, quand il va apprendre que vous allez vous retrouvez si haut. Ca
au moins il ne pourra rien y faire. Bien joué, Aït Ouali.
Il s'était repris.
- Souvenez vous quand même, que ce machin, même si c'est le centre de la
police européenne, il ne peut rien faire, eux dedans ils ne peuvent
rien faire, rien de rien. C'est à dire, rien, sans nous.
Le commissaire principal de Marquis, fidèle serviteur de l'Etat,
d'ascendance nobiliaire démontrée, flic de père en fils depuis
l'arrivée de Fouché aux côtés de Napoléon, supportait mal l'idée qu'un
jour, peut être, il y aurait une police au dessus de la sienne.
- Chef, tant que ce sont des Arabes comme moi qui se retrouvent là,
vous savez bien que vous n'avez rien à craindre pour l'autorité de la
police française, hein ?
Il regarda à nouveau, ses yeux noirs brillaient avec une lueur
d'éclair. Il renifla et sourit.
- Aït Oulai, vous êtes un bon, sans doute très bon flic, teigneux,
perspicace, et donc efficace. Courageux à certains moments. Vous verrez
vous allez vous emmer.... là bas.
Il n'avait pas voulu prononcer le mot de Cambronne en entier.
Au
sixième étage, la division « Police scientifique », du
département « Relations internationales ». Le bureau de Aït Ouali, se
trouvait face à la Saône coincé entre celui de ses collègues traitant
des affaires d'Europe Centrale et celui des affaires Africaines. Il se
demandait si son ancien patron n'avait pas eu raison tous comptes
faits. Les bureaux, disposés autour d'une grande plateforme, qui
regroupait le pool des assistantes multilingues, formaient un cercle
sur une surface carrée, encore une métaphore de la police européenne,
de la démarche européenne depuis son début, sans doute. En tous les
cas, cela donnait à certains bien moins d'espace que leurs voisins. Il
avait hérité d'un de ces petits espaces. Quoique responsable des
affaires criminelles d'origine asiatique, et donc représentant à priori
près du tiers de la population de la planète, ici il pesait moins que
l'Afrique ou que la Pologne. C'était grâce à sa maîtrise de plusieurs
langues asiatiques, c'est à dire vu de Bruxelles, de nombreuses langues
parlées à l'est de la Grèce, qu'il avait pu être séléctionné à ce poste
qui venait d'être créé. Il était à même de parler et d'écrire, outre
les langues européennes habituelles, l'arabe et aussi le turc,
l'ouzbek. Ses connaissances s'étendaient et s'arrêtaient au dialecte
japonais des Ainu dans le
Nord du Japon. Il avait toujours eu des facilités avec les langues et
c'était devenu un hobby. En arabe, à cause des nombreuses variations
dialectales, il avait pu sans difficultés acquérir des tons qui lui
avaient servi ensuite dans son apprentissage des diffèrentes langues
chinoises parlées à la fois sur le territoire principal et chez les
populations des diasporas.
Parfois, bien sûr, il faisait des erreurs,
des séminaires et des conférences avec des collègues au Maroc, en
Tunisie et au Liban étaient là pour les lui rappeler. Il s'étaient
faits aussi des amis, à la vie à la mort, là bas et, ça allait avec
dans ses pays, des ennemis pour la vie. Pour ce qui concernait les cultures
de tous ces gens, c'était un rocher de Sisyphe, plus il avait le
sentiment d'apprendre et moins il comprenait. Poussant la porte de son
bureau, sur laquelle était accroché une plaque où avait été gravés " M.
Mohamed Robert Aït Ouali. Inspecteur. Police Scientifique Européenne.
Département Relations Internationales. Pays Méditerranéens et
Asiatiques", la fierté montait en lui à nouveau. Il était regonflé pour
la journée. Son bureau, dont la surface au sol représentait deux cônes
applatis, opposés par la pointe, il avait essayé de le décorer de la même manière
que son héros Philip Marlowe. Tout un pan de mur était couvert de
photos, articles de journaux en voie de jaunissement, certificats et de
ses quelques diplômes encadrés à pas cher. Sa table était sorti d'un
grand magasin suédois parce que celle réglementaire qui lui avait été
assignée ne correspondait pas à l'idée qu'il se faisait de lui même.
Elle était en bois massif et tellement lourde à déplacer que les
employés de la maintenance avait renoncé à la faire disparaître.
Sa
surface était vide. Le vendredi soir , il avait pris l'habitude de
mettre,
rangé ou en vrac, tous les dossiers encore en suspens dans un tiroir à
droite. Il voulait donner le change. Un flic travailleur, rangé, qui a
tout dans la tête et qui raisonne comme un ordinateur. La machine était
là, elle, trônant au milieu de cette table, grise argentée, ouverte
alors qu'elle aurait dû être fermée. Il s'assit après avoir accroché
son blouson à l'unique patère derrière la porte. L'écran était déjà
allumé et il restait à taper son code d'entrée dans le système.Le
collègue intrus n'était pas arrivé à le faire. Bien du plaisir à celui
qui serait capable de trouver un code d'entrée en arabe ancien et en
chinois. Il grinça des dents. Qui avait essayé d'entrer dans sa machine
? Il devait savoir. Un coup à la porte. Avant que le mot "entrez !" ne
soit
sorti de sa bouche, la porte s'était ouverte et celle qui avait essayé
de lire dans son appareil, il en était sûr, entrait. C'était sa
collègue thailandaise. En la voyant maintenant sa conviction
s'affirmait
.Lui, comme tous ses collègues, lui mangeait dans la main. Il suffisait
qu'elle lève ses sourcils et qu'un très léger sourire vienne sur ses
lèvres pour que tous les hommes dans un rayon de dix mètres se
retrouvent langue pendante. Une image bien sûr. Il essayait de résister
autant que sa fierté le lui permettait. Toutefois elle lui avait laissé
entendre que cela ne durerait pas, il serait bientôt comme les autres
et elle le marierait. A la fois vexé de sentir le poids de sa volonté
et remué d'être le seul élu, il continuait de maintenir une distance
certaine,
c'était difficile. Et, comme par hasard, il avait appris par Jennie;
une assistante, laquelle acceptait parfois de boire un verre de bière
avec lui; que des paris courraient sur sa tête. Ils
n'étaient pas à son avantage.
- Oui, Suchai, qu'est ce qu'il y a ?
- Bob, j'ai essayé d'entrer dans ton système parce qu'il semble que tu
aies reçu un message d'extrême urgence en provenance du Portugal
- C'est toi ! Est ce que tu ne peux pas t'empêcher de venir mettre ton
nez et tes mains pleines de doigts chez moi ? N'as tu pas assez de tes
propres affaires ?
Il avait laissé percer l'irritation. Habituellement, comme souvent les
Asiatiques le font, elle passait à autre chose et essayait de réduire
la tension.
- Bob, ne le prends pas mal, tu n'étais pas arrivé et une procédure
d'urgence est arrivée par le telex codé de la police du Portugal. Un
flic s'est fait tué dans une zone franche de Porto. En plus c'est mêlé
à une entrée de marchandises sur le territoire de l'Union qui serait
non autorisée. Dans ce message il est fait référence à toi. Peut être
que tu sais pourquoi ?
En quoi est ce que ça pouvait l'intéresser. Suchai ne faisait jamais
rien pour rien.
- Attends, tu vas trop vite là. Voilà tu sais ce qu'on fait ? Tu
ressors, tu me laisses entrer dans le film, et quand je t'appelle tu
reviens, ça marche ?
- OK, 5 minutes. Pas une de plus. Donovan nous attend à neuf et quart
précises en salle de réunion.Voilà il te reste 4 minutes et 30
secondes.
Aït Ouali, n'écoutait plus. Il avait tapé dans le code d'entrée de son
ordi. Le passe écrit partie en arabe et partie en chinois disait «
M.... à celui qui le lira ». Bien sûr la manipulation était un peu
complexe. Encore plus quand il était sous pression.
Entre Suchai d'un côté et Donovan, le patron des RI, relations
internationales, maintenant, de l'autre, il la sentait, la pression.